Pourquoi est-ce que le TCE n’est pas compatible avec
l’accord de Paris
sur le climat ?
Qu’est-ce que le TCE ?

Le traité de la charte de l'énergie (TCE) traité de la charte de l'énergie (TCE) est un accord international signé en 1994. Il compte actuellement 53 parties contractantes, dont l'UE, la quasi-totalité des pays européens (à l’exception de l’Italie), la Turquie, l'Asie centrale et le Japon. Le TCE protège tous les investissements dans l'approvisionnement énergétique, de l'extraction à la consommation, y compris les mines, les champs de pétrole et de gaz, les pipelines, les autres infrastructures énergétiques, les raffineries et les centrales électriques. Il accorde aux investisseurs étrangers dans le secteur de l'énergie une protection étendue qui va bien au-delà de la protection de la propriété dont bénéficie toute entreprise en vertu du droit national. Il donne également aux investisseurs étrangers l'accès à un mécanisme d'arbitrage privé appelé mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (Investor-State-Dispute-Settlement - ISDS). Plutôt que de devoir recourir aux tribunaux nationaux - comme tout le monde - les investisseurs peuvent utiliser ces tribunaux d'arbitrage privés, qui ne sont composés que de trois avocats spécialisés dans les investissements, pour réclamer des millions, voire des milliards d'euros d'indemnisation. Les entreprises du secteur de l'énergie s'en sont servi pour contester toute une série de mesures étatiques d'intérêt général dont ils considéraient qu'elles nuisaient à leurs bénéfices..

Pourquoi est-ce un obstacle pour la transition énergétique ?
  • Les énergies fossiles représentent 72 % de l'approvisionnement énergétique européen et doivent être éliminées de toute urgence afin d'éviter une catastrophe climatique.
  • Le TCE est incompatible avec le Green Deal Européen.
  • Les dispositions incluses dans le TCE conduisent à réduire les risques liés aux investissements privés dans l'industrie fossile, en obligeant les États nationaux à couvrir tous les actifs ou investissements rendus non rentables par les politiques climatiques nationales.
  • Le calcul des indemnisations est beaucoup plus favorable aux investisseurs sur la base du TCE que sur la base du droit national, puisque les investisseurs peuvent demander des compensations non seulement pour les investissements réalisés mais aussi pour les bénéfices futurs non réalisés. Ces dispositions sont incompatibles avec l'ambition de neutralité climatique de l'Europe.
  • • Si les combustibles fossiles ne sont pas progressivement éliminés, les émissions cumulées de gaz à effet de serre protégées par le TCE d'ici à 2050 équivaudraient à un tiers du budget carbone mondial restant pour la période 2018-2050.
Comment est-ce que le TCE a été utilisé par les investisseurs ?

Le TCE est l'accord qui a déclenché le plus grand nombre de poursuites intentées par des investisseurs étrangers contre des États via l’arbitrage d’investissement. En octobre 2020, le secrétariat du TCE a répertorié un total de 134 plaintes. Comme les procédures peuvent être tenues secrètes, le nombre réel est probablement plus élevé

Les demandes d'indemnisation concernaient par exemple les règles environnementales, les mesures visant à réduire la pauvreté énergétique, la réduction des subventions et les modifications des taxes. Récemment, nous avons également assisté à un certain nombre de litiges pour lesquels le TCE est utilisé contre des gouvernements qui cherchent à limiter l'utilisation des combustibles fossiles.

Exemples d’entreprises ayant recours au TCE
  • La compagnie pétrolière britannique Rockhopper poursuit l'Italie pour avoir interdit l'extraction de pétrole offshore, réclamant sept fois la somme initialement investie.
  • La société canadienne Vermilion a menacé de poursuivre la France au moment de la préparation du projet de loi visant à mettre fin à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures - projet dont la portée a finalement été considérablement affaiblie.
  • À l'automne 2019, la société allemande Uniper a annoncé qu'elle poursuivrait les Pays-Bas et demanderait une indemnisation si le pays approuvait une loi visant à supprimer progressivement les centrales électriques au charbon.
  • La société suédoise Vattenfall a lancé en 2009 des poursuites contre l'Allemagne dans le cadre du TCE, réclamant des compensations à hauteur de 1,4 milliard d'euros en raison des normes environnementales imposées à sa centrale à charbon près de Hambourg. Selon les responsables, le montant en jeu a obligé le gouvernement local à affaiblir la réglementation et à régler l'affaire à l'amiable, exacerbant ainsi les impacts environnementaux de la centrale sur la rivière et sa faune locale. Dans le cadre du deuxième litige intenté par Vattenfall contre l'Allemagne, l'entreprise réclame cette fois 6,1 milliards d'euros pour la sortie accélérée du nucléaire du pays après la catastrophe de Fukushima.
  • Une société gazière britannique, Ascent Resources, a officiellement entamé des procédures pour engager des poursuites contre la Slovenie suite à l'adoption de mesures visant à protéger les eaux souterraines des impacts de la fracturation hydraulique. Ascent Resources demanderait plus de 50 millions d'euros de compensations à la Slovénie. Ce litige qui concerne un projet d'exploitation du champ gazier de Petišovci, dans l'est de la Slovénie intervient après la demande par l'agence slovène de l'environnement d'une étude d'impact environnemental pour la délivrance du permis. Ces mesures étaient pourtant requises en raison de la localisation du projet à proximité de sources d'eau et de risques pour la santé de la population locale.

Les litiges ne manqueront pas se multiplier à mesure que les pays s'engageront sérieusement à mettre en œuvre leurs engagements en matière de climat. Les mines de charbon et les centrales électriques devront être fermées, les opérations pétrolières et gazières devront cesser et même les nouvelles infrastructures gazières en cours de construction devront être mises hors service bien avant la fin de la durée de vie prévue. Dans de nombreux cas, les investisseurs pourront utiliser le TCE pour demander des compensations. Un nouveau rapport de l'Institut international pour l'environnement et le développement (IIED) a pour la première fois quantifié les effets que le TCE pourrait avoir sur l'élimination progressive du charbon et a constaté qu'il protège à lui seul 51 centrales électriques au charbon.

Le système énergétique doit être modifié de manière globale et rapide pour atteindre la neutralité climatique. Cela ne peut réussir si le TCE continue à protéger les investissements fossiles, dans la mesure où ce dernier renchérit considérablement la transition énergétique et ralentit les décisions nécessaires. La seule menace d'une poursuite peut suffire à dissuader un gouvernement d'amoindrir ou d'abandonner des propositions de réglementation qui, autrement, favoriseraient la transition énergétique. Le TCE est donc un outil puissant entre les mains des entreprises de fossiles.

Pour en savoir plus sur les dangers du TCE et de l’ISDS dans d'autres accords d'investissement, vous pouvez consulter :

Tienhaara, Kyla (2018). Regulatory Chill in a Warming World: The Threat to Climate Policy Posed by Investor-State Dispute Settlement. Transnational Environmental Law, 7:2 (2018), pp. 229–250.

Kyra Bosa, Joyeeta Gupta (2019). Stranded assets and stranded resources: Implications for climate change mitigation and global sustainable development. Energy Research & Social Science, Volume 56, October 2019, p. 8.

OpenExp (2019). The Energy Charter Treaty (ECT). Assessing its geopolitical, climate and financial impacts. September 2019.